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Digital Girl Talk Fevrier 2022

Entretien avec Épiphanie Dionrang : “les militantes féministes africaines ont besoin de plus d’espaces et de conversations ensemble” 

En 2021, nous avons lancé les conversations Girl Talk Afrique Digital parce que malgré tout, nous voyons que l’espace est quelque chose de très nécessaire après avoir constaté à quel point les mouvements féministes africains sont déconnectés les uns des autres. Nous avons décidé de piloter des conversations mensuelles pour mettre en lumière la situation des femmes et des filles dans leurs communautés.

Les objectifs de digital girl talk africa sont : apprendre sur l’organisation féministe dans les pays africains et visibiliser le travail des filles et femmes ; ressortir les conditions des filles et femmes dans les pays africains et comment les filles et femmes s’organisent pour changer les récits. Cette année 2022, nous continuons ces conversations pour faire le point sur les différents types et pratiques d’organisation féministe en Afrique.

L’idée est d’atteindre les différentes organisations féministes, les causes féministes et les mouvements à travers le continent pour apprendre les uns des autres. Ce faisant, nous voulons aborder et documenter comment les mouvements féministes et le travail peuvent devenir plus radicaux dans les années à venir et d’apprendre continuellement, de produire des connaissances pour la praxis féministe, à la fois théorique et pratique, en particulier de ceux qui sont impliqués dans la stratégie politique.

Pour la conversation de février 2022, nous avons parlé avec une militante féministe tchadienne, Épiphanie Dionrang. Elle est gestionnaire de projet, entrepreneure sociale. Nous lui avons adressé quelques questions à propos de la condition des femmes et le mouvement féministe au Tchad. Bonne lecture ! 

Dans beaucoup de sociétés africaines, lorsque les femmes commencent à prendre conscience des oppressions et violences basées sur le genre ainsi que du système qui favorise leur continuité, généralement, un constat est fait : le règne d’un silence normalisé face à ces injustices. Les jeunes féministes comprennent alors très rapidement qu’un premier chemin à emprunter pour conduire le changement est “briser le silence”. Au Bénin, au Burkina-Faso, en RDC, Côte d’Ivoire, Burundi, Mali, Sénégal, Guinée, les récits des militantes nous montrent clairement qu’une première étape dans la construction du mouvement féministe pour la liberté des femmes est le refus du silence comme réponse à tant de violences basées sur le genre. Cela se confirme également dans le récit porté ÉPIPHANIE Dionrang, militante féministe tchadienne.

Au départ de son militantisme

Comment ton activisme a commencé ? 

“Au Tchad, lorsque je regarde le quotidien des femmes, c’est flagrant de voir qu’elles subissent des injustices et des inégalités. Dans tous les domaines de leurs vies, elles sont touchées : sur les plans économique, social, personnel, culturel et politique, les femmes tchadiennes ne sont pas libres comme d’ailleurs dans nos sociétés patriarcales. Face à cela, j’ai décidé de briser le silence et le tabou, être la voix des sans voix. Ma réaction a été de porter ma voix. Mon militantisme s’exprime d’abord à travers ma plume, le slam, des mots et ma voix que j’utilise pour aborder les réalités. Ensuite à travers différentes activités que j’organise et dans lesquelles je m’implique. Il s’agit de beaucoup d’activités de contact direct avec et pour les femmes. Une première chose dont je suis fière est l’organisation d’une  marche pacifique des femmes pour dire non aux violences faites aux femmes et filles et non à l’impunité des auteurs.

Je m’investis également dans les actions de sensibilisation pour l’élimination des violences basées sur le genre, la santé sexuelle et reproductive dans les écoles primaires, dans les collèges, lycées, universités et dans les marchés. J’ai réalisé des émissions pour la télévision et comme la radio. Je milite avec la ligue Tchadienne des droits des femmes dont je suis présidente, le réseau des jeunes féministes de l’Afrique centrale et je suis project manager de INKHAZ, une plateforme sanitaire de lutte contre les violences faites aux femmes. Mon combat est clair : contribuer à mettre fin aux violences sexuelles et sexistes faites aux femmes, faire des plaidoyers pour l’amélioration des conditions avec des lois et politiques.”

Un regard sur l’organisation féministe au Tchad

Comment s’organise la lutte pour le respect des droits des femmes dans ton pays ? Qui fait quoi et comment ?

“L’éveil du mouvement féminste est très récent au Tchad et les féministes ne sont pas nombreuses. Le mouvement existe à travers plusieurs associations de défense des droits humains et des associations féminines qui mènent des actions pour les droits des femmes. Il y a également les ministères de la femme qui fait des choses. C’est un état des lieux. Cependant, à mon avis, ce qui se fait n’est pas toujours le concret dont les femmes ont besoin. Les actions de terrain, les plaidoyers forts qu’il faut, ce n’est pas toujours ce à quoi nous assistons en grande majorité. Nous sommes dans un contexte où les filles et femmes tchadiennes en grande majorité ne connaissent pas leurs droits en tant que personne humaine et pour moi, nous devons oser et sortir des voix classiques, surmonter la peur, s’affranchir des pesanteurs socioculturelles, s’exprimer et agir. La libération de la parole reste un défi pour beaucoup de jeunes femmes pour une lutte efficace. Les préjugés qui existent à propos des féministes aussi représentent un frein car la peur de subir ces stéréotypes est présente. Nous sommes traités de personnes frustrées, de rebelles et cela demande de l’audace pour continuer à être libre dans nos façons de nous exprimer.”

Les jeunes féministes dans les pays en Afrique sont en première ligne de la lutte pour la libération des femmes. Un défi majeur pour rendre leur travail encore plus efficace, c’est le renforcement de leurs capacités et la connexion avec d’autres militantes féministes, l’apprentissage de la sororité. Beaucoup de militantes féministes sur le continent soulignent ces défis et Épiphanie Dionrang a également abordé cela.

Pour renforcer et donner du pouvoir au mouvement féministe au Tchad et sur le continent

Selon toi, de quoi ont besoin les jeunes féministes dans ton pays pour mieux avancer dans la lutte, et comment pouvons-nous renforcer les mouvements féministes africains ? 

“Elles ont besoin de formations et de renforcements de capacités. Beaucoup de jeunes femmes ont déjà pris conscience des inégalités et veulent se mettre en action. Mais il y a la peur comme je le disais plus haut, le manque d’audace et surtout le manque de connaissance sur la construction de mouvement féministe. Pour moi, les militantes avec plus d’expériences doivent aider les plus jeunes, les porter et partager des connaissances et expériences nécessaires pour leur croissance. Ce partage peut se faire entre pays aussi. Dans certains pays, certains changements sont arrivés et d’autres non. Les contextes sont différents mais nous pouvons partager les pratiques, les expériences pour inspirer et aider d’autres mouvements même hors de nos pays.  Nous avons aussi le défi de travailler ensemble afin de donner du pouvoir à nos actions. Des actions déconnectées et dispersées ne sont pas efficaces. Pour renforcer les mouvements féministes africains, nous avons également besoin d’apprendre et développer la sororité. Nous avons ce défi et à travers des conversations, nous pouvons alimenter un tel apprentissage. Des outils comme Twitter aujourd’hui nous aident pour créer des espaces et avoir des conversations depuis différents pays. Nous pouvons nous approprier de ces outils. Dans tous les pays africains, les jeunes féministes doivent organiser des réunions, avoir des rencontres ensemble, discuter sur la condition des filles et femmes dans leurs pays et élaborer des stratégies pour conduire des changements.”

Pour l’amélioration des conditions des femmes au Tchad

Que faudra-t-il faire pour l’avancée des droits des femmes dans les années à venir dans votre pays  ?

“Je dirai deux choses : exiger le respect des textes de lois qui portent sur les droits des femmes et leur protection. Ces lois existent mais ne sont ni respectées ni appliquées. Également, je pense qu’il faudra travailler pour la fin de l’impunité des auteurs de violences basées sur le genre est une cause de la continuité de ces violences. Enfin, soutenir la libération de la parole des femmes, amplifier leurs voix malgré les pesanteurs socio-culturelles.”

Selon l’ONU, 30% des femmes tchadiennes âgées de 20 à 24 ans ont été mariées avant l’âge de 15 ans. Les mutilations génitales féminines, pratiquées dans la plupart des régions du Tchad, touchent 44% des femmes. De nombreux autres rapports mentionnent d’autres formes de violences basées sur le genre et la dominance de pesanteurs socioculturelles qui portent atteinte aux droits humains des femmes. Le tableau ne semble pas reluisant pour les filles et les femmes et de jeunes féministes tchadiennes telles que  Épiphanie Dionrang sont en mouvement pour changer les récits et induire des changements positifs.